Entretien avec le Docteur Ghada Hatem,
médecin-chef de la Maison des femmes, à Saint-Denis (93)

En 2010, lorsqu’elle arrive à la maternité Delafontaine à Saint-Denis, en région parisienne, le Dr Hatem reçoit en consultation nombre de femmes victimes de mutilations et de violence. Pour les informer et leur venir en aide, elle décide de créer une Maison des Femmes.

Quel a été le point de départ du projet ?

Je suis arrivée à l’hôpital Delafontaine en 2010. En tant que gynécologueobstétricienne, j’ai été confrontée à des histoires bouleversantes : mutilations, précarité, mariages forcés… Ici, 14 % des futures mamans sont excisées, 15 % des patientes sont victimes de violences conjugales, 25 % vivent dans des logements précaires… Il me semblait urgent de prêter secours à ces femmes, et c’est ainsi qu’est née l’idée d’ouvrir une Maison des Femmes à côté de l’hôpital. Au-delà des services proposés dans un centre de planification familiale classique, le lieu devait, selon moi, axer son accompagnement sur deux thématiques fortes : les mutilations et la violence..

Avez-vous rencontré des obstacles pour monter ce projet ?

L’équipe de direction de l’hôpital s’est montrée très favorable, mais le Pôle mère-enfant venait d’être créé, et il n’y avait pas de budget à consacrer au projet. Il a donc fallu
que je recherche 950 000 euros pour financer la construction de la Maison des Femmes : un travail long et laborieux ! Fort heureusement, j’ai pu compter sur le soutien de nombreuses fondations privées : Kering, Air France, Elle, Pièces Jaunes, Fleur du Désert, Raja, Nestlé, Ventes Privées… Le Conseil régional, le Département, le député de Seine-Saint-Denis et les communes de Plaine-Commune m’ont également apporté des financements. Toutes ces dotations ont permis de faire démarrer le projet, même si je sais qu’il faudra bientôt partir à la recherche de nouveaux soutiens pour faire vivre le lieu.

Pourquoi avez-vous besoin de financements complémentaires ? 

Nous sommes victimes de notre succès ! La Maison des Femmes a bénéficié d’une excellente couverture médiatique à sa naissance, les associations de droits des femmes ont
fait le relais, et le bouche-à-oreille a bien fonctionné : nous recevons une cinquantaine de femmes chaque jour et, depuis l’ouverture du lieu, nous avons assuré 4 000 consultations ! Mais nous devons compter sur la bonne volonté de nombreux bénévoles, tous les postes sont fragiles, et nous manquons de place : j’envisage de faire construire une annexe pour accueillir le secrétariat, une salle de réunion, une permanence médico-judiciaire, mais aussi et
surtout l’assistance sociale. Les compétences permettant aux patientes d'accéder aux soins via des dispositifs de droit commun nous manquent cruellement ; il nous faut recruter rapidement une assistante sociale.

Comment se déroule la prise en charge des femmes ?

Les femmes peuvent téléphoner pour programmer un rendez-vous, ou venir directement à la Maison des Femmes. Le premier rendez-vous est assuré par la conseillère conjugale
ou la sage-femme, qui examine la patiente, et écoute son histoire pour mieux cibler la prise en charge dont elle a besoin. En tout, nous sommes une vingtaine de professionnels : psychologues, sexologues, chirurgiens, conseillère conjugale, infirmières, aides-soignantes, sage-femme, sophrologue. Parmi les bénévoles, nous avons aussi des avocats, des policiers, un ostéopathe ou encore une masseuse ayurvédique ! Nous nous réunissons régulièrement pour évoquer les cas des patientes et réfléchir ensemble à
l’accompagnement le plus adapté. Grâce au dévouement de chacun, nous espérons éclaircir un peu l’avenir de ces femmes qui en ont tant besoin.