Le décès d’un patient est trop souvent source d’une grande souffrance pour les soignants. Et les conséquences psychiques sont inquiétantes : alcoolisation, dépression, syndrome de stress post-traumatique...  Une étude vient lever le voile sur ce sujet encore tabou.

« Le décès d’un seul patient peut traumatiser un soignant. Il faut libérer la parole sur ce sujet. Nous oublions parfois que nous sommes des soignants, pas des sauveurs », souligne le Pr Thibaud Damy, cardiologue au CHU Thierry Mondor. Il est l’un des auteurs d’une étude sur la souffrance des soignants face à la mort des patients, présentée en janvier aux Journées européennes de la Société française de cardiologie. Pour ce premier volet, quelque 800 cardiologues, chirurgiens cardiaques et anesthésistes-réanimateurs cardiaques ont complété un questionnaire en ligne au cours de l’été 2021.

Et les résultats sont édifiants : près de la moitié des médecins répondants présentent des symptômes de burnout, un tiers sont en état de stress post-traumatique et plus de 30 % présentent des niveaux de dépression qui nécessiteraient une prise en charge psychologique.

Une chaîne Youtube

« Je m’attendais à des résultats de cette ampleur, commente le Pr Damy. Le point de départ de cette étude a été de réaliser personnellement l’impact de la mort de mes patients sur moi-même. En en parlant autour de moi, je me suis rendu compte que beaucoup de mes collègues étaient dans la même souffrance. Et ils souffrent souvent seuls. Cette souffrance concerne tous les professionnels de santé, des aides-soignants aux médecins ». Un second volet de l’étude doit d’ailleurs être consacré aux paramédicaux. « On s’attend à des résultats encore pires », note le cardiologue.

Pour le lever les tabous sur le sujet, une chaîne Youtube a été créée pour diffuser des témoignages de soignants. Dans l’une des vidéos, le Dr Jean Philippe Kervorkian, cardiologue au CHU Lariboisière, à Paris, raconte l’un des souvenirs qui l’a le plus marqué. « J’ai le souvenir d’une jeune femme de 32 ans. Pour moi, pour nous, pour l’équipe, il n’était pas question de la perdre. Mais elle est décédée en réanimation. Ce jour-là, nous nous sommes sentis obligés de revenir à l’hôpital alors que nous n’étions pas d’astreinte, se souvient le Dr Kervokian. Nous avions perdu une jeune femme rayonnante. Elle reste dans ma tête en permanence. Mon entourage m’a aidé à relativiser, à prendre de la distance. Je la garde au fond de moi. Je me sens responsable de mes patients. Je n’abandonne pas. On assume tout jusqu’à la fin. Nous médecins, ne sommes pas tout puissants. Nous le découvrons tous les jours. »

« Une vraie maladie professionnelle »

Pour aider les soignants à faire face aux décès de leurs patients, le Pr Thibaud Damy appelle à la création d’enseignements sur le sujet. « Les soignants ne comprennent pas les mécanismes de défense face à la mort qui se mettent en place et adoptent des comportements nuisibles, comme la prise de toxiques. C’est une vraie maladie professionnelle qu’il faut considérer comme telle », commente le cardiologue. Par ailleurs, il réclame une prise en compte de cette souffrance par les institutions. « Si on veut que les soignants restent à l’hôpital, il faut leur donner du temps pour se retrouver après le décès d’un patient, pour pouvoir affronter cette épreuve en équipe. Tout le service est touché par la mort d’un patient », ajoute le Dr Damy.