À 53 ans, Bruno Tijou a déjà eu plusieurs vies. Le point commun de toutes ses aventures ? Le besoin de se mettre au service des autres. Portrait d’un homme qui a accompagné les vivants avant de prendre soin des morts.

Les dix premières années de sa vie professionnelle, Bruno Tijou les a passées au volant d’un véhicule sanitaire léger en tant qu’ambulancier, avant d’intégrer le Centre départemental de l’enfance en tant que veilleur de nuit à Forbach (57), tout près de la frontière allemande. « Cela me permettait d’être plus présent à la maison après toutes ces années d’astreinte, se souvient-il. Mon boulot consistait à prendre la relève de l’éducatrice de jour auprès des jeunes du centre, qui étaient en attente de placement et très souvent en manque affectif. C’était un métier très prenant. »

Quand la vie bascule

Après dix ans dans le centre, Bruno Tijou entame une formation d’aide médico-psychologique, un cursus en alternance à l’Institut régional du travail social de Metz qu’il ne mène malheureusement pas jusqu’au bout : « En janvier 2010, j’ai fait une crise d’épilepsie, et je me suis retrouvé à l’hôpital de Nancy où l’on m’a dit que mes défenses immunitaires s’étaient retournées contre moi, explique-t-il. Mon cerveau avait pris une claque, une partie de mes souvenirs étaient perdus, et je n’avais plus aucune autonomie. » Après un an passé à l’hôpital, puis trois mois de rééducation, Bruno rentre chez lui : à 44 ans, il est en retraite anticipée pour invalidité de 50 à 79 %. « J’étais dans un état émotionnel complexe à cause de mes problèmes de mémoire et d’orientation, confie-t-il. Je suis passé par des moments très difficiles. Heureusement, les neurologues qui me suivaient ont fini par trouver un traitement qui a permis de stabiliser mon état, et j’ai repris des activités professionnelles occasionnelles pour compléter ma pension, même si ce n’était pas épanouissant. »

Au service des vivants et des morts

Et puis un jour, un ami lui parle, un peu par hasard, d’une entreprise de pompes funèbres à la recherche d’un employé. Sans tarder, Bruno se présente, et il est engagé. « C’était un peu l’ironie du sort, de passer d’un métier où l’on accompagne des enfants à un métier où l’on ne peut plus faire grand-chose pour les gens, remarque-t-il. Mais je me suis vite attaché à ma mission, qui consiste finalement à rendre les morts aussi beaux et présentables que possible. » Et en effet, si la mise en bière et le maquillage de personnes décédées peuvent sembler macabres pour certains, Bruno Tijou y voit surtout une manière de prendre soin des gens, d’autant que son métier implique aussi d’être à l’écoute de la douleur des familles et de faciliter leurs démarches administratives.

Une période sous tension

En ce mois d’avril 2020, Bruno Tijou se retrouve au cœur de la crise sanitaire : « Les morgues sont saturées, et à la peine des familles s’ajoute l’impossibilité de faire ses adieux correctement : les mises en cercueil se font directement, les proches ne peuvent pas voir le défunt une dernière fois… Les messes sont aussi interdites. C’est très dur de faire son deuil dans ces conditions, et la tension est palpable. Les journées sont extrêmement chargées. C’est vraiment une période difficile, confie-t-il. Malgré tout, je me sens utile à la société dans ce métier un peu invisible, et je suis heureux de pouvoir faire ma part. » Et de conclure : « Depuis mon accident, je sais au plus profond de moi qu’il faut profiter à fond de chaque jour, et le Covid-19 vient confirmer cela. »